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Comment les libraires peuvent participer à la Grande Cause Nationale "Santé Mentale"

  • mariannelecul
  • 2 juin
  • 5 min de lecture

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La Fédération Française des Psychologues et de Psychologie lance une lettre ouverte au Syndicat de la Librairie Française. Elle alerte sur :"la juxtaposition, sur les mêmes étals, d’ouvrages de psychologie et psychiatrie scientifique et d’ouvrages de développement personnel, voire d’ésotérisme ou de spiritualité non fondée sur des données probantes."


Lettre ouverte au Syndicat de la Librairie Française

À l’attention de sa Présidence, de son Conseil d’administration, 

À l’attention de tous les libraires qui font vivre nos villes et nos quartiers,

 

Paris, le 26 mai 2025

 

Madame, Monsieur,

Dans la chaîne du livre, la librairie occupe une place singulière : elle est à la fois lieu de découverte, de conseil, de médiation culturelle et, trop souvent, le dernier rempart entre le lecteur et l’immensité – souvent hétérogène et hétéroclite – de l’offre éditoriale. C’est en tant que lecteurs passionnés, mais aussi en tant que professionnels et acteurs de la santé mentale, que nous nous permettons d’attirer votre attention sur un phénomène dont l’impact croît à mesure que la santé psychique devient un sujet de société : la juxtaposition, sur les mêmes étals, d’ouvrages de psychologie et psychiatrie scientifique et d’ouvrages de développement personnel, voire d’ésotérisme ou de spiritualité non fondée sur des données probantes.

Un exemple récent est proposé en photographie jointe à cette lettre. On y voit sur la même étagère des livres sérieux comme « Comment ça va, toi ? » du psychiatre et vulgarisateur Hugo Baup à quelques centimètres de deux manuels de sorcellerie et de magie, ainsi que d’ouvrages de développement personnel, domaine souvent dénoncé pour ses potentielles dérives sectaires ou l’entrainement de retards, voire refus de soins. Les manuels de magie ou sorcellerie sont d’ailleurs mis en avant avec une place en hauteur.

Ce mélange des genres peut être nuisible à trois niveaux.

La lisibilité du rayon pour le public

La majorité des lecteurs – même curieux et informés – ne dispose pas spontanément des outils pour distinguer le caractère fondé d’un ouvrage écrit par un professionnel sérieux de livres proposant des méthodes miracles, souvent promus comme best sellers. Or l’urgence – personnelle ou familiale – qui pousse à chercher de l’aide accroît la vulnérabilité au marketing des promesses rapides, a fortiori dans un contexte de fortes tensions dans le système de santé, et encore plus en psychiatrie.

La crédibilité des sciences médicales, humaines et sociales

La psychologie, la psychiatrie, les neurosciences et la psychothérapie sont des disciplines qui ont, depuis un siècle, construit des méthodologies rigoureuses. Leurs acteurs publient dans des revues à comité de lecture, évaluent l’efficacité des interventions, reconnaissent leurs limites et apprennent de leurs erreurs. Quand des ouvrages de vulgarisation grand public relayant ces travaux se retrouvent alignés avec des propositions qui relèvent davantage de la croyance ou de la démarche spirituelle, c’est toute l’image de la santé mentale qui se brouille, glissant vers un concept flou et sans limite de "bien-être". Le public pourrait ainsi finir par conclure que « tout se vaut », ouvrant la porte à la méfiance envers le soin fondé sur des preuves.

La responsabilisation des acteurs du livre

L’éthique professionnelle des libraires a toujours reposé sur la qualité du conseil et la défense de la diversité. Or la confusion actuelle expose celles et ceux qui tiennent boutique à une forme de responsabilité morale : vendre, parfois, des ouvrages qui encouragent des pratiques dangereuses (interruption d’un traitement médicamenteux, jeûne détox contre la dépression, recours à des gourous sans diplôme).

 

Deux repères importants

Le Syndicat National de l’Édition indique dans sa synthèse 2022-2023 que le segment santé mentale « est toujours porté par une abondante production qui se situe parfois aux frontières de la psychologie grand-public ou de l’ésotérisme ».

L’enquête IFOP - Centre national du livre d’avril 2025 « Les Français et la lecture » indique que plus d’un tiers des ouvrages lus entrent dans la catégorie indistincte « développement personnel, psychologie ». Ces livres représentent même plus de la moitié des ouvrages lus par les 20-24 ans. Il est évident que depuis quelques années, en particulier depuis le faîte de la crise sanitaire, les enjeux de santé mentale intéressent de plus en plus les jeunes.

 

Des enjeux éthiques et sociétaux

 

Prévenir les dérives sectaires et pseudoscientifiques

La MIVILUDES documente la porosité entre certains courants de coaching ou de soins non conventionnels avec des mouvances sectaires. Son dernier rapport d’activité, sur l’année 2024, publié en mai 2025, est inquiétant à ce titre. La santé reste le premier motif de signalement de dérive ; et la plupart de ces dérives sont le fait de personnes sans qualification dans le domaine de la santé. Des tables de librairie accessibles à tous sont, hélas, devenues un vecteur de diffusion pour des idéologies dangereuses : dérégulation émotionnelle prônée comme spiritualité, refus des traitements psychiatriques remplacés par des « fréquences vibratoires » ou de « naturopathie quantique », etc.

Soutenir la littératie en santé

À l’heure où la médecine appuie de plus en plus le concept d’empowerment du patient, c'est-à-dire son autonomisation et la reprise éclairée de pouvoir sur sa santé et sa maladie, il est paradoxal de brouiller l’accès aux connaissances fiables. La littérature scientifique vulgarisée donne des repères au grand public ; elle mérite un écrin distinct, identifiable, valorisé.

Reconnaître le travail des professionnels de la psychologie

Les chercheurs et cliniciens qui acceptent d’écrire pour un large lectorat subissent déjà le filtre de la clarté pédagogique. Les placer à côté d’un best-seller promettant de « réinitialiser vos chakras en 48 heures » revient à invisibiliser l’effort, voire à décourager la relève : pourquoi investir un, deux ou trois ans dans un livre rigoureux si la visibilité sera identique, voire plus faible, à celle d'un ouvrage ésotérique placé au même rang ?

Une opportunité culturelle et citoyenne

Face à l’explosion de l’offre numérique et des réseaux sociaux, la librairie physique demeure un repère. En faisant le choix d’une mise en valeur de la psychologie scientifique et de la vulgarisation médicale rigoureuse, le Syndicat de la Librairie Française enverrait un signal fort. Oui, la curiosité du lecteur est respectée. Oui, la santé mentale mérite la même rigueur que la santé somatique. Oui, les libraires sont des passeurs capables d’articuler liberté de penser et qualité de l’information.

Il ne s’agit pas de retirer des titres, mais d’aider le lecteur à exercer son discernement – exactement comme les rayons jeune adulte, occultisme ou true crime coexistent sans confusion. Un simple balisage – étiquettes, kakémono – coûte peu et peut s’adapter à toutes les surfaces. L’essentiel étant la séparation visuelle, pas l’agrandissement physique du rayon.

Bien sûr ; séparer n’est pas déprécier. Au contraire, clarifier l’offre évite la déception ou l’appropriation de techniques dangereuses par des personnes vulnérables et en recherche d’aide sérieuse : quiconque cherche un récit d’éveil spirituel le trouvera plus vite s’il n’est pas noyé dans des manuels de psychiatrie, et inversement. Les ouvrages de psychanalyse sont d’ailleurs souvent catégorisés clairement sur les étals pour les distinguer des ouvrages de psychologie d'autres courants (psychologie cognitive, psychologie sociale, neuropsychologie, ...).

Nous, lecteurs ou acteurs de la santé mentale, restons à votre disposition pour contribuer à des formations ou à la mise en place de supports pédagogiques, et également pour venir à la rencontre des lecteurs. Ensemble, faisons de la librairie un lieu où la rigueur peut côtoyer sans confusion la diversité des imaginaires.

Nous vous remercions pour votre attention et, surtout, pour le travail quotidien que vous accomplissez au service du livre et de la démocratie culturelle.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre plus haute considération, certains de votre engagement pour la santé de vos lecteurs.


Elle lance une pétition de soutien sur change.org

 

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